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La vulnérabilité aux ouragans dans le bassin caribéen
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Hurricane Ivan 2008
Les cyclones sont des événements climatiques cataclysmiques qui affectent le bassin caribéen chaque année durant la saison des pluies. Ces phénomènes climatiques extrêmes sont appelés « ouragans » dans cette région du monde. Les ouragans représentent les catastrophes dites « naturelles » les plus importantes en terme de victimes et de pertes économiques dans le bassin caribéen (bien que le terrible séisme qui a touché Haïti en 2010 ait chamboulé les statistiques en la matière). Naturelle, entre guillemets, car, comme nous le verrons dans ce bref article, les dégâts causés par un ouragan sont fonction de la vulnérabilité du territoire. Les facteurs engendrant cette vulnérabilité sont souvent d'ordres socio-économiques plus que « naturels ». Notre article présente un bref aperçu des différents aspects du risque cyclonique dans le bassin caraïbe.
Un cyclone tropical est une perturbation atmosphérique se formant dans la troposphère (altitude inférieure à 15 kilomètres) au-dessus des océans de la zone intertropicale. Ce phénomène peut atteindre jusqu’à 1 000 km de diamètre. Étymologiquement le mot cyclone vient du grec « κύκλος », décrivant le mouvement circulaire de la perturbation atmosphérique (Glaser & Radtke 2007). Dans l’Océan Atlantique Nord, on distingue trois stades d'évolution : une « dépression tropicale » lorsque les vents sont inférieurs à 60 km/h, une « tempête tropicale » pour des vents compris entre 60 et 118 km/h. Lorsque les vents soufflent à plus de 119 km/h, on parle d' « ouragan ». Le terme espagnol « huracán » est un mot d’emprunt dérivant probablement du terme « hurakán », employé par les peuples amérindiens Taïnos, qui vivaient dans la Caraïbe. Les Taïnos des îles avaient eux-mêmes sans doute emprunté ce terme aux Mayas du continent qui vénéraient un Dieu « Jun Raqan ». Ce terme est devenu « ouragan » en français (Audoin 2012; Sheller 2003).
Plusieurs conditions sont nécessaires à la formation d’un cyclone :
- la présence d'une dépression atmosphérique initiale dans une zone où la force de Coriolis est propice à l'enroulement des masses d'air (c'est à dire à une distance d'au moins quelques degrés de l'équateur)
- la température de l’eau de mer doit être supérieure à 26°C sur une couche d'au moins 50 mètres de profondeur pour générer une évaporation suffisante.
Ces conditions ne sont possibles que dans la zone intertropicale.
Dans ces conditions la pression atmosphérique devient élevée en latitude haute et basse en latitude basse. L’effet de cette configuration est que les vents forment une circulation fermée dans le sens inverse des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord et une circulation fermée dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère sud. L’océan apporte au phénomène chaleur et humidité, donnant ainsi une énergie considérable au phénomène. Cette dynamique est potentiellement illimitée au-dessus des eaux chaudes des océans en raison de la forte évaporation. Mais elle s’affaiblit rapidement au moment de l’arrivée sur les continents. Les ouragans se déplacent de l’est vers l’ouest à une vitesse comprise entre 20 et 60 km/h. Les effets directs d'un cyclone sont des fortes précipitations, des vents violents et des marées de tempêtes.
Pendant la dernière décennie (2003-2012) on a recensé un total de 166 cyclones dans le monde, dont 82 ouragans de l’Atlantique du Nord (NHC 2013). Les ouragans sont classifiés selon l’échelle de Saffir-Simpson qui établit cinq catégories en fonction des critères suivants : pression atmosphérique, vitesse du vent, hausse du niveau de la mer et dégâts observés. Ce dernier point est une faiblesse de l'échelle Saffir-Simpson, car les dégâts observés dépendent d’autres facteurs que l'intensité du cyclone, notamment la vulnérabilité des sociétés. Il est ainsi possible – et courant - qu’un ouragan de catégorie 2 cause d'énormes dégâts et de nombreuses pertes de vies humaines dans un territoire donné (comme Haïti ou la Jamaïque par exemple) tandis qu'un autre territoire moins vulnérable (par exemple Cuba ou la Guadeloupe) semblera relativement épargné par un ouragan de même intensité.
Depuis 1953, tous les cyclones portent des noms. Un comité de la World Meteorological Organization prépare une liste avec des noms de A à Z pour chaque année. Il existe six listes et ces listes sont utilisées en rotation annuelle. Les noms des ouragans les plus meurtriers et entraînant le plus de dégâts matériels sont progressivement rayés du registre. La saison s’étale officiellement du premier juin au 30 novembre, la plupart des cyclones apparaissant entre mi-août et mi-octobre.
On distingue quatre grands types d'ouragans. Leurs caractéristiques sont liées à l’endroit de leur naissance et à leur trajectoire. Les cyclones dits « cap-verdiens » (par exemple « Ivan » en 2004) se forment près de la côte africaine et gagnent beaucoup de force en traversant l’Atlantique Nord dans une trajectoire globalement est/ouest. En même temps, ces cyclones laissent plus de temps pour organiser la protection grâce à la longue distance qui sépare leur point de naissance des territoires caribéens. Au contraire, les cyclones dits « barbadiens » (par exemple « Emily » en 2005) se forment directement au sud de l’arc antillais. Ils gagnent très brusquement en intensité lors de leur passage au-dessus des eaux chaudes du Bassin Caribéen dans une trajectoire sud-est/nord-ouest. Les cyclones dits « caribéens » (par exemple « Mitch » en 1998) naissent directement dans la mer des Caraïbes et prennent souvent une direction sud/nord. Les cyclones dits « subtropicaux » (par exemple « Irene » en 2011) se forment dans des conditions différentes. Ils prennent naissance au contact de fronts froids ou chauds dans le nord du Bassin caribéen. Ils se dirigent ensuite généralement vers les Bahamas et/ou la côte est des États-Unis et du Canada. Ces trajectoires sont celles que l'on peut observer le plus régulièrement, mais il existe beaucoup des cyclones qui ont une trajectoire atypique.
La modélisation de l'impact des cyclones est très complexe à appréhender. Comme évoqué plus haut, il ne suffit pas de classer les ouragans selon leur intensité. Dans les derniers jours du mois d’août 2008 l'ouragan de catégorie 1 « Hanna » a provoqué plus de 500 morts en Haïti et des dommages de l'ordre de 160 millions de dollars aux États-Unis. Une semaine plus tard l'ouragan « Ike », de catégorie 5 (l'intensité la plus forte), causait cinq fois moins de décès dans l'ensemble du bassin caribéen et des dommages estimés à moins de 20 millions de dollars (Brown, Beven, Franklin & Blake 2009). L'impact humain des cyclones dépend notamment de la conduite face aux risques, de la vulnérabilité et de la résilience d’une société, et de « leur propension à anticiper un phénomène destructeur, à l’affronter, à lui résister et à récupérer après son passage » (D’Ercole 2003). Il est donc évident qu’il faut se pencher sur les aspects sociaux et spatiaux de la manière dont les risques sont gérés.
La prise des risques par les individus fait partie de la relation homme-nature. Les uns prennent des risques volontairement, car ils veulent profiter d’une situation (par exemple un hôtel sur une plage). Les autres sont forcés à cause des conditions sociales (par exemple un bidonville construit sur de fortes pentes ou dans une vallée inondable par manque de place ailleurs et/ou à cause du prix du logement).
Le risque est donc le résultat de la multiplication entre danger et vulnérabilité. Il existe de façon simplifié trois catégories d’analyse de la composition de la vulnérabilité. Le modèle explique comment en interaction le danger d’un côté et la vulnérabilité de l’autre influencent l’ampleur de la catastrophe. Cela induit, a contrario, que prendre des mesures pour diminuer la vulnérabilité peut atténuer l’impact du danger. Pour analyser la vulnérabilité d’une société face à un danger il faut regarder premièrement les causes d’origine comme le système politique et les rapports de force. Deuxièmement le cadre social comme groupe, classe et genre. Troisièmement les facteurs d’incertitude comme les moyens de subsistance, l’infrastructure publique, etc. (Wisner et al. 2004).
Les sociétés insulaires sont particulièrement affectées par les cyclones à cause de leur géomorphologie, de la concentration urbaine littorale caractéristique et de leur dépendance économique vis-à-vis du tourisme et de l’export d’un seul produit agricole vulnérable (banane notamment). De plus, elles sont menacées par les effets du changement climatique, qui renforcera probablement d’un côté la fréquence et l’impact des ouragans et de l’autre la hausse du niveau de mer. La réflexion sur la vulnérabilité montre que les approches administratives et techniques sont nécessaires, mais pas suffisantes. La notion de vulnérabilité amène à prendre en compte les caractéristiques sociales qui sont aussi la source de dégâts et pertes de vies humaines durant le passage d'un cyclone. Cette notion nous amène aussi à considérer les contradictions inhérentes à la relation homme-nature. Plutôt que de prendre des mesures uniquement techniques face aux ouragans, il faut réduire la vulnérabilité en s'attaquant aux conditions sociales qui l'accroissent. Étant donné le poids du facteur social dans l'augmentation du risque face au cyclone, il est possible de réduire fortement la vulnérabilité, et ainsi les pertes de vies humaines et les dégâts matériels, en jouant sur cette corde.
Catégorie : Géographie Physique et ressources naturelles
Pour citer l'article : Bohle, J., (2014). "La vulnérabilité aux ouragans dans le bassin caribéen" in Cruse & Rhiney (Eds.), Caribbean Atlas, http://www.caribbean-atlas.com/fr/thematiques/geographie-physique-et-ressources-naturelles/la-vulnerabilite-aux-ouragans-dans-le-bassin-caribeen.html.
Références
Audoin, M. (2012). Cyclones des Antilles. Paris : Éditions Scitep.
Brown, D., Beven, J., Franklin, J. & Blake, E. (2009). Annual Summary. Atlantic Season of 2008. http://www.aoml.noaa.gov/general/lib/lib1/nhclib/mwreviews/2008Atlantic_HurricaneSummary.pdf
D'Ercole, R. (2003). Catastrophes et disparités de développement dans le Bassin caraïbe (pp.37-42). Mappemonde, 72.
Glaser, R. & Radtke, U. (2007). "Klimageographie". In H. Gebhardt, R. Glaser, U. Radtke & P. Reuber (Eds.). Geographie (pp.184-259). München : Elsevier.
Jonkman, S., Gerritsen, H., & Marchand, M. (2012). "Coastal Storm" (pp. 220-231). In: B. Wisner, JC. Gaillard, I. Kelman (Eds.). The Routledge Handbook of Hazards and Disaster Risk Reduction. London & New York : Routledge.
National Hurricane Center (2013). http://www.nhc.noaa.gov/?atlc
Sheller, M. (2003). Consuming the Caribbean. London & New York : Routledge
Wisner, B., Blaikie, P., Cannon, T. & Davis, I. (2004). At risk. New York : Routledge