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L’opposition au monopole espagnol : les intrus français, anglais et néerlandais

  • Nicole Plummer-Rognmo Institute of Caribbean Studies & Reggae Studies Unit University of the West Indies, Jamaica

Le système économique qui gouvernait la colonisation des Amériques était le mercantilisme ou le capitalisme marchand. Pour être efficace, le mercantilisme devait s’opérer en parallèle avec le colonialisme, pour assurer que les richesses du pays subordonné appartenaient au pays dominant. L’on croyait que si la mère patrie pouvait contrôler tous les biens qui entraient et sortaient de la colonie, en assurant qu’aucun autre pays ne pouvait faire du commerce avec elle, alors, la mère patrie aurait le contrôle total des richesses générées par cette dernière. Ainsi, tous les biens produits dans les colonies espagnoles devaient être exportés vers l’Espagne, et les colons ne pouvaient officiellement acheter que des biens d’origine espagnole. Les métaux précieux et les produits agricoles profiteraient aux citoyens espagnols et engraisseraient la Trésorerie. Ils devaient avoir de bonnes retombées sur l’emploi et sur les industries telles que la construction navale.

L’Espagne entreprit plusieurs mesures pour mettre en application son monopole sur les Amériques. D’abord, pour solidifier sa « découverte » et s’assurer que sa revendication était reconnue, tout en monopolisant de façon efficace les Amériques, en accord avec ses aspirations mercantilistes, Isabelle et Ferdinand sollicitèrent la ratification du Pape Alexandre VI. Ce dernier divisa en deux le monde en dehors de l’Europe : toutes les terres à l’ouest des Açores appartenaient à l’Espagne et celles à l’est appartenaient au Portugal. Il s’agissait du traité de Tordesillas, ratifié en 1494, où le Portugal recevrait le Brésil et l’Afrique de l’Est, tandis que toute autre « découverte » aux Amériques appartiendrait à l’Espagne. Si, en tant que pays catholiques, l’Espagne et le Portugal croyaient que l’autorité du Pape suffisait pour que l’Europe chrétienne reconnaisse leurs revendications américaines, pour d’autres pays, comme l’Angleterre et la Hollande, suite à la Réforme protestante, l’approbation de ce traité de Tordesillas signifiait peu de chose. En effet, ils estimaient même que le Pape ne devait pas se mêler des affaires profanes de ce type. La France s’intéressait aussi aux colonies d’outre-mer espagnoles et elle ne tint aucun compte de la ratification du Pape.

En 1503, pour tenter de s’assurer de l’efficacité du système mercantiliste, l’Espagne fonda la Casa de Contratación (Maison du Commerce), située à Séville, pour contrôler les échanges dans les colonies. La Maison accordait des asientos – permis commerciaux – qui deviendraient de plus en plus importants dans l’approvisionnement d’Africains aux étrangers, tels que les Portugais, désireux de faire du commerce avec ses colonies. Un agent associé à la Maison fut envoyé dans les colonies américaines pour s’assurer que les taxes étaient payées et que le commerce était bien réglementé. Malgré ces tentatives, l’Angleterre, la Hollande et la France réussirent à résister au monopole espagnol de plusieurs façons : en faisant de l’exploration, en s’associant à des pirates/corsaires/boucaniers, en faisant de la contrebande (du commerce illégal avec des colons espagnols) et en s’installant.

Considérés comme des intrus, puisqu’ils n’étaient pas autorisés à entrer dans les Amériques espagnoles, les explorateurs français, anglais et néerlandais étaient vigoureusement repoussés par les navires armés espagnols. Les peurs espagnoles étaient bien fondées, car les intrus cherchaient souvent à faire des échanges avec des colons espagnols volontaires. Si le commerce constituait un motif relativement innocent, selon le système de monopole instauré par l’Espagne, toute tentative de former des liens commerciaux était illégale, obligeant donc de nombreux intrus à recourir à la contrebande dans des ports moins fréquentés, ou même, parfois, dans des ports populaires. Cette contrebande fut nécessaire pour la survie des colons espagnols, qui était approvisionnés de façon irrégulière par les commerçants espagnols. Cette situation devint chronique après l’instauration du système de convois, qui quittaient l’Espagne deux fois par an. Les colons devaient souvent faire face à des attentes interminables quand ils essayaient d’envoyer des biens en Espagne, ce qui provoqua souvent la détérioration de denrées périssables. C’est de leur plein gré, donc, qu’ils échangeaient avec des Anglais comme John Hawkins, qui, en 1563, arriva à l’île d’Hispaniola avec des bateaux transportant jusqu’à 400 esclaves africains. En échange, il obtint des peaux d’animaux et du sucre et il paya toutes les taxes et tous les droits locaux. Malgré le traitement défavorable qu’il reçut de la part des officiels espagnols, Hawkins entreprit un autre voyage commercial, cette fois-ci sur le continent, où il fut payé en or. Le commerce rentable entamé par Hawkins encouragea d’autres personnes à tenter des échanges avec les colonies espagnoles. Il faut noter que les Néerlandais étaient devenus des transporteurs populaires avant la fin du 16e siècle et ils faisaient du commerce régulier avec les colonies espagnoles. Les esclaves africains qu’ils fournissaient étaient d’une très grande importance.

Les pirates et les corsaires, qui faisaient essentiellement la même chose, essayaient également de rompre le monopole espagnol sur les Amériques. Les pirates entamaient des attaques et des vols non autorisés non seulement sur des navires, mais aussi sur des ports et des villes portuaires. Ils s’attaquaient aux bateaux de façon non sélective, ils étaient ainsi redoutables aux yeux de beaucoup. Les corsaires en revanche, entreprenaient des attaques et des vols autorisés ou consentis sur des navires, ainsi que des raids sur des îles et dans des zones côtières des Amériques, situées « au-delà de la ligne », ou en dehors des limites territoriales fixées par les traités, qui se situaient souvent au sud du tropique du Cancer. Ainsi, pendant les périodes de guerre, les corsaires recevaient des commissions ou des lettres de marque d’officiels gouvernementaux, leur permettant de frapper des bateaux appartenant aux États adverses. En échange de leur soutien, les navires des corsaires devaient fournir à leurs gouvernements respectifs une partie du butin. Cela valait la peine, puisque les lettres de marque garantissaient que les marins ne seraient pas pendus comme pirates pour leur pillage, mais qu’ils seraient traités comme des prisonniers de guerre. Les corsaires anglais étaient très actifs pendant les périodes de guerre et comptaient dans leurs rangs John Hawkins (après l’attaque sauvage qu’il subit de la part de marins espagnols), Francis Drake et Walter Raleigh. Les corsaires français les plus connus étaient Jean D’Ango et François le Clerc, qui réussirent à s’emparer de plusieurs galions espagnols remplis de métaux précieux venant du continent et de provisions venant de Cuba, d’Hispaniola et de Porto Rico.

Les boucaniers, qui étaient essentiellement des pirates, agissaient aux 16e et 17e siècles, quand ils s’attaquaient à des navires marchands espagnols. Dérivé du terme « boucan », qui faisait référence à la pratique de sécher la viande bovine sur des grills, les boucaniers étaient souvent d’origine anglaise, française ou néerlandaise. Entre deux attaques, ils chassaient le bétail sur l’île d’Hispaniola, séchaient la viande et la vendaient aux navires de passage. C’est de cette pratique qu’ils gagnèrent le nom de « boucaniers », qui en anglais devint « buccaneers ». L’un des boucaniers les plus connus fut le Gallois Henry Morgan.

En estimant que les terres inhabitées par l’Espagne étaient libres d’être colonisées – la notion d’occupation effective – les intrus défièrent le traité de Tordesillas. Les Anglais, les Français et les Néerlandais s’installèrent donc aux Amériques. Les Anglais fondèrent des colonies en Amérique du Nord et dans les îles Sous-le-Vent. Parmi les premières à voir le jour : Saint-Christophe, la Barbade, Nevis, Montserrat et Antigua. Les Français fondèrent aussi une colonie à Saint-Christophe avant de coloniser la Martinique et la Guadeloupe. Les Néerlandais étaient d’abord présents au Brésil, avant de fonder des colonies à Aruba, Curaçao, Bonaire, Saba, Saint-Eustache et Saint-Martin. Au bout du compte, le monopole espagnol échoua. Ils n’avaient pas la puissance navale nécessaire pour maintenir les intrus à l’extérieur des Caraïbes et, donc, les Néerlandais, les Anglais et les Français fondèrent des colonies permanentes et établirent une présence durable dans la Caraïbe.

Catégorie : Vagues de colonisation

Pour citer l'article : Plummer, N. (2013). "L’opposition au monopole espagnol : les intrus français, anglais et néerlandais" in Cruse & Rhiney (Eds.), Caribbean Atlas, http://www.caribbean-atlas.com/fr/thematiques/vagues-de-colonisation-et-de-controle-de-la-caraibe/vagues-de-colonisation/l-opposition-au-monopole-espagnol-les-intrus-francais-anglais-et-neerlandais.html.

Références

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Beckles, H. et Shepherd, V. (2000) ; Caribbean Slavery in the Atlantic World ; Kingston : Ian Randle Publishers

Beckles, H. et Shepherd, V. (2004) ; Liberties Lost : Caribbean Indigenous Societies and Slave Systems ; Cambridge: Cambridge University Press

Bridenbaugh, C. et Bridenbaugh, R. (1972) ; No Peace Beyond the Line : The English in the Caribbean 1624-1690 ; New York: Oxford University Press

Egerton, D. (2007) ; The Atlantic World : A History, 1400-1888 ; Wheeling, IL : Harlan Davidson, Inc

Little, B. (2005) ; The Sea Rover’s Practice: Pirate Tactics and Techniques, 1630-1730 ; Washington, D.C. : Potomac Books

McAlister, L. (1984) ; Spain and Portugal in the New World, 1492 – 1700 ; Minneapolis : University of Minnesota