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L’île de Trinidad, 1498-1962
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À l’époque des premiers contacts avec les Européens, l’île de la Trinité était peuplée depuis au moins 7000 ans, par plusieurs vagues de colonisations successives, de personnes originaires du vaste territoire situé entre les fleuves Amazone et Orénoque. À l’arrivée de Christophe Colomb en 1498, lors de son troisième voyage, l’île était habitée par des locuteurs de langue arawak et de langue caraïbe (les Kalinagos ou Caraïbes).
Officiellement, l’île devint une possession espagnole en 1498, mais aucune tentative de colonisation ne fut entamée pendant presque un siècle, même si des raids esclavagistes menés par les Espagnols réduisirent considérablement la population indigène. En 1592, les Espagnols fondèrent officiellement une ville, San José de Oruña (devenue par la suite St Joseph), et certaines institutions typiquement espagnoles, associées à la colonisation du Nouveau Monde. Au cours des 200 années suivantes, quelques colons espagnols s’y installèrent ; des encomiendas furent mises en place ; des missionnaires convertirent un grand nombre d’indigènes et les regroupèrent en villages appelés « missions ». Mais, en fin de compte, l’île n’était qu’un avant-poste isolé et à peine développé du vaste empire hispano-américain. Sa population – comprenant une poignée d’Espagnols « blancs », quelques métis ou mestizos, très peu d’esclaves africains et les indigènes survivants – était toujours clairsemée, la plus grande partie de ses terres n’était pas cultivée et, si une certaine quantité de cacao fut cultivée et exportée, elle était complètement dépourvue d’une économie de plantation florissante.
Cette situation évolua vers la fin des années 1700. En reconnaissant qu’elle manquait de capacité nécessaire pour développer l’île selon le système colonial fructueux adopté par les Britanniques et les Français, l’administration borbonique entama une réforme, invitant les planteurs étrangers à s’y installer, en amenant leur main d’œuvre asservie, leur capital et leur expertise en agriculture tropicale. Les planteurs français, en particulier, furent ciblés, en vertu du décret ou Cedula de 1783 – ils étaient catholiques et la France était l’allié proche de l’Espagne à cette époque.
L’arrivée de colons français – dont la plupart étaient blancs, mais certains étaient des « gens de couleur libres » (des personnes libres, métisses, de descendance africaine et européenne) – transforma l’économie et la société de l’île vers la fin du 18e siècle. Ils amenèrent leurs esclaves avec eux, et d’autres arrivèrent directement d’Afrique dans les années 1790. Des plantations furent créées là où il n’y avait que de la forêt auparavant ; l’on commença à cultiver du coton, du café et du sucre, ce dernier s’imposant comme culture dominante avant la fin du siècle ; la nouvelle capitale, Port d’Espagne, devint une ville portuaire animée, puisque l’île avait des biens à exporter et ses habitants avaient la capacité et la volonté d’acheter des produits importés. Dès 1797, l’île de la Trinité présentait toutes les caractéristiques d’une économie et d’une société sucrières et esclavagistes, avec une élite à prédominance française et une classe importante de propriétaires terriens, composée de personnes libres de couleur.
Cette année-là, l’île devint une colonie britannique par une conquête militaire, mais ce fait ne fut confirmé par traité qu’en 1802. Elle resta britannique jusqu’en 1962. (L’île de Tobago fut annexée à l’île de la Trinité en deux étapes entre 1889 et 1898, pour créer la nouvelle nation de Trinité-et-Tobago).
En tant que colonie britannique conquise des mains d’une puissance étrangère, l’île de la Trinité avait une histoire constitutionnelle et politique assez différente de celle des colonies britanniques plus « anciennes » telles que la Barbade et la Jamaïque. Au début (1802-1831), le gouverneur, au nom de la Couronne britannique, jouissait de pouvoirs quasiment illimités, tandis que le Conseil consultatif manquait de compétences législatives. A partir de 1832 cependant, l’île fut gouvernée selon un système qui sera ensuite connu par le nom de « Crown Colony Government » (1) : un Conseil législatif ayant des compétences législatives, mais aucun membre élu (seulement des officiels et « officieux » nommés par le gouverneur). Contrairement aux colonies plus anciennes, l’île de la Trinité n’a jamais eu d’Assemblée élue. Quand l’île de Tobago fut annexée à sa voisine plus grande, elle perdit sa législature distincte et fut incorporée sous le même régime, comme partie de la nouvelle colonie britannique de Trinité-et-Tobago.
Le système de gouvernance mis en place en 1832 n’évolua presque plus pendant à peu près un siècle. En 1925 toutefois, le Conseil législatif fut doté de membres élus, mais le droit de vote était limité par des critères stricts de revenu et de propriété. En 1946, le suffrage universel – le droit de vote pour tous, à partir de l’âge de 21 ans – fut promulgué. Entre 1946 et 1962, la colonie évoluait lentement, par toute une série de changements constitutionnels, vers la pleine autonomie. L’indépendance a été proclamée le 31 août 1962 et Trinité-et-Tobago est devenue une république (au sein du Commonwealth d’anciennes colonies britanniques) en 1976.
Le système de Crown Colony Government a été naturellement conçu pour prévenir toute vie politique vigoureuse et toute opposition au gouverneur britannique ou à ses représentants. Mais, au cours du 20e siècle, un mouvement syndical s’est développé, notamment la Trinidad Workingmen’s Association (2), fondée en 1897 et particulièrement active entre 1919 et 1937, sous la direction de A.A Cipriani et d’autres. En 1937, des émeutes syndicales graves, menées par T. U. Butler, un ancien travailleur du secteur pétrolier, ont débouché sur le développement d’un mouvement syndical moderne (de type britannique) entre 1937 et 1956, ce qui a eu une influence considérable sur la vie politique de la colonie. En 1956, Eric Williams et quelques collègues ont fondé le People’s National Movement3 (le PNM). Ce nouveau parti a remporté de justesse les élections de cette même année, formant ainsi le gouvernement qui allait diriger le pays vers un processus de décolonisation, pour aboutir à l’indépendance nationale en 1962. (Le PNM a conservé le pouvoir de 1956 à 1986, en remportant six élections générales successives).
Quand l’île de la Trinité devint une colonie britannique en 1797, le développement agricole lancé par les colons français se poursuivit. Des planteurs britanniques arrivèrent des autres colonies, souvent accompagnés de leurs esclaves, et le capital britannique contribua à l’expansion de l’industrie sucrière. Le nombre d’esclaves augmenta considérablement au début du 19e siècle, avant l’abolition du commerce triangulaire par les Britanniques et, vers 1815, les Africains asservis constituaient environ 67% de la population.
La Grande-Bretagne abolit l’esclavage dans son empire en deux étapes entre 1834 et 1838. Les anciens esclaves, libérés sans concessions de terre ni indemnisations financières, quittèrent souvent les plantations pour habiter de nouveaux villages, en cherchant du travail rémunéré là où il était disponible, et en essayant de devenir de petits agriculteurs indépendants sur des terres achetées, louées ou occupées. D’autres migrèrent vers les villes ; beaucoup d’entre eux devinrent artisans de tous types ; les femmes travaillèrent comme couturières, lavandières et domestiques, tout en étant cultivatrices paysannes, vendeuses ou colporteuses.
Privés de leur main d’œuvre servile traditionnelle, les planteurs de l’île firent campagne en faveur de l’importation d’ouvriers sous contrat d’Asie, en s’inspirant de ce qui se faisait à l’Ile Maurice et en Guyane britannique. Entre 1845 et 1917, à peu près 147 000 ouvriers sous contrat arrivèrent d’Inde. La plupart restèrent sur l’île à la fin de leur contrat et leurs descendants constituent actuellement 40% de la population nationale. D’autres vinrent de Chine, en plus petit nombre. D’autres migrants débarquèrent dans les décennies suivant l’abolition de l’esclavage, de pays aussi divers que l’île portugaise de Madère, l’Afrique de l’Ouest (en tant qu’ouvriers sous contrat et non comme esclaves), le Venezuela, les plus petites colonies britanniques de la Caraïbe, la Syrie et le Liban. Dès le 20e siècle, la colonie avait une population très diverse, en termes d’ethnicité, de pays d’origine, de religion et de culture.
Le sucre demeura le pilier de l’économie coloniale tout au long du 19e siècle, mais le cacao était en forte croissance vers la fin du siècle, et dépassa le sucre en tant que première culture d’exportation dès 1900 environ. Les deux cultures dominèrent la production sur les plantations pendant quelques décennies, mais le cacao chuta fortement dans les années 1920 et les années 1940, et ne s’en remettra jamais. L’exploitation des réserves de pétrole, situées au sud de l’île, représentait la source la plus importante de revenus dès les années 1930. La demande suscitée par la Seconde Guerre mondiale, couplée au développement de la production marine dans les années 1950, n’ont fait qu’accentuer la prépondérance du pétrole dans l’économie moderne de l’île.
Trinité-et-Tobago développa une vie culturelle riche dès le début de l’époque coloniale, ce qui fut renforcé par la diversité remarquable de sa population. Le carnaval, le calypso et le steelpan (né juste après la Seconde Guerre mondiale) étaient au cœur de l’ensemble culturel créole. Les arts populaires, fêtes et pratiques religieuses apportés par les Indiens (hindous et musulmans) enrichirent le tout, alors que les communautés ethniques plus petites apportèrent leurs propres contributions, dans les domaines de la culture alimentaire, de la musique ou de divers festivals.
(1)> Gouvernement des colonies de la Couronne
(2) Association des ouvriers de l’île de la Trinité
(3) Le mouvement national du peuple
Catégorie : Vagues de colonisation
Pour citer l'article : Brereton, B. (2013). "L’île de Trinidad, 1498-1962" in Cruse & Rhiney (Eds.), Caribbean Atlas, http://www.caribbean-atlas.com/fr/thematiques/vagues-de-colonisation-et-de-controle-de-la-caraibe/vagues-de-colonisation/l-ile-de-trinidad-1498-1962.html.
Références
M. Anthony, (1997) ; Historical Dictionary of Trinidad and Tobago ; Scarecrow Press : Lanham, Md., & London.
B. Brereton, (1981, 2011) ; A History of Modern Trinidad, 1783-196 ; Terra Verde Resource Centre : Champs Fleurs, Trinidad.
E. E. Williams (1964) ; History of the People of Trinidad and Tobago ; Andre Deutsch : London.